Tu as fini ton roman.
Tu t’apprêtes à l’envoyer.
Tu ouvres ton fichier Word.
Tu penses : « facile ».
Tu te trompes.
Car envoyer un manuscrit papier, c’est le début d’un long chemin de croix logistique, bureaucratique… et légèrement humiliant.
1. L’impression : l’acte fondateur de ta déchéance
Tu croyais imprimer ça vite fait chez toi.
Erreur.
– Ta cartouche noire est vide à la page 12.
– Ton imprimante te fait du noir façon 50 nuances de gris.
– Ton chien marche sur la pile.
Tu files chez un imprimeur.
0,10 € la page x 250 = 25 € pour que quelqu’un peut-être, un jour, lise ton œuvre.
2. Le format imposé : rite de passage punitif
Les maisons d’édition demandent en général :
– Format A4
– Interligne 1,5
– Marges précises
– Police Times New Roman 12 (ni Arial, ni 13)
– Pagination discrète
– Une page de titre, un résumé… et ton âme.
Et surtout :
pas d’agrafe. Pas de spirale. Pas de reliure artistique.
À moins que ce soit expressément demandé, ton manuscrit doit être envoyé en feuilles libres, posées dans une enveloppe comme ton destin littéraire : fragile et désorganisé.
3. La lettre d’accompagnement : ni trop, ni pas assez
Tu dois être convaincant(e) sans avoir l’air désespéré.
Original(e) sans être perché(e).
Humain(e), mais professionnel(le).
Bref, une sorte de CV littéraire qui donne envie, sans provoquer un bâillement de comité.
Et surtout :
évite la phrase « ce livre m’a sauvé la vie ».
L’éditeur, lui, a 238 manuscrits à lire avant mardi.
4. L’enveloppe : le cercueil beige de ton roman
Tu insères ton manuscrit dans une enveloppe kraft taille C4 à soufflets.
Tu hésites à glisser un mot gentil.
Tu ajoutes parfois une enveloppe retour affranchie (que personne ne renverra).
Tu fermes l’enveloppe comme on scelle une capsule temporelle.
Tu pleures un peu.
5. La Poste : zone de turbulence émotionnelle
Tu arrives au guichet, le manuscrit sous le bras.
L’agent postal pèse le colis comme s’il tenait ta carrière.
« Ça fait 6,42 €. Lettre prioritaire ou verte ? »
Tu réponds « verte ».
Parce que tu es écolo. Et fauché.
Et que rien n’est plus ironique qu’un chef-d’œuvre transporté en tarif économique.
6. L’attente : plus longue qu’une grève SNCF
Tu rentres chez toi, le cœur un peu vide.
Tu te dis : « Voilà, c’est lancé. »
Et tu attends.
Deux semaines passent.
Puis deux mois.
Puis huit.
Et toujours rien, à part une pub pour des croquettes et un rappel d’EDF.
Le silence est total.
La seule réponse que tu pourrais recevoir, c’est ton propre manuscrit en retour, froissé et orphelin.
Conclusion lucide
Envoyer son manuscrit papier, c’est un acte de foi.
Une offrande.
Un parcours initiatique qui coûte 30 €, 3 litres d’espoir et un peu de dignité.
Mais tu recommenceras.
Tu enverras à d’autres maisons.
Tu réimprimeras, tu repaieras.
Tu reliras les conditions d’envoi comme on relit un contrat faustien.
Parce qu’écrire, c’est croire encore.
Même quand l’encre sèche, que l’imprimante clignote, et que la boîte aux lettres sonne comme un mauvais gag.